Eros, Agapè, Dilectio, Caritas… Tous ces noms se retrouvent réunis en un seul dans le corpus augustinien. Il s’agit de l’amour au sens large. Et oui, dans le projet d’Hervé Koubi de 2023, il s’agit, encore, de rassembler, de fédérer, de réunir, de construire, de danser – ensemble.
Si la ligne de fuite demeure le corps de ballet, dans la trace de la douce séquence orientaliste de Ce que le jour doit à la nuit, de la violence des Nuits barbares et de l’envolée ballettomane d’Odyssey, des infléchissements majeurs pointent subtilement. En effet, la Compagnie est désormais dotée de danseurs, français, italiens, brésiliens, suisses, américains, taiwanais en plus de ceux, tunisiens, marocains et algériens qui sont les compagnons de toujours, mais aussi… de femmes.
La gestuelle est encore « terrienne », mais moins martiale, le style se fait aérien.
Hervé Koubi, en effet, a à cœur de tisser une œuvre de danse plus épurée, en se frottant aux personnalités multiples des nouve(elles)aux arrivant(e)s.
A ce jour, le chorégraphe veut faire fi de ses origines algériennes, aller au-delà. Son souhait est de donner ce qui reste après le processus physique de la Sublimation. Et ce qui reste, quand tout est oublié, quand tout est pardonné, quand la messe est dite, c’est la danse. Or, attention, la danse comme acte d’amour, mais à échelle modeste, selon l’humilité que le monde serait certes plus beau si tous les gens dansaient, mais sans nulle revendication.
Ce dont il rêve, tout simplement, c’est d’un ballet lumineux – figure du bien divin dans l’Ancien comme dans le Nouveau Testament, pour qui veut bien les lire honnêtement. « In caeruelo candes nitet orbita mundo », déclamait un poète lucrétien inconnu. C’est sous cette voûte céleste qui est le garant de la paix à travers la brillance de l’amour que s’inscrit ce projet.
Il n’est même point besoin de parier, mais de constater que grâce à la réunion d’interprètes issu(e)s de parties du monde éclatées par les guerres, le Mal sera ici transcendé par le Bien, sous la figure du Beau. Fluidité, fidélité à chacun, la pièce promet. Entre rupture et continuité. Mais toujours par – l’amour.
Loin de toute prétention, l’intention consiste à esquisser un monde onirique où tout est plus simple, plus évident, plus beau.
Avec Sol Invictus, Hervé Koubi tient à mettre en scène, en chair, et surtout en lumière, le fait que l’amour est le garant de la paix, dans un monde qui, malgré l’éclatement de la guerre perpétuelle, recèle une force plus puissante – celle de la communion. Et ce sont bien les hommes, et les femmes, en tant que respectivement acteurs de la reconstruction et terre d’accueil, qui ont pour mission de faire revivre la clarté au cœur des ténèbres et la beauté du bien depuis même la vallée des larmes où nous vivons dans le péché. Et, si Heidegger rappelait que « seul un dieu peut encore nous sauver », peu importe la forme spirituelle que la résurrection prendra. Ou plutôt, elle sera multiple ou ne sera pas. Elle n’est jamais autre que – l’amour, quitte à se répéter. Et l’amour, n’est-ce autre chose que fonder une « grande famille » ?
S’il ne devait rester qu’une seule chose à la fin du monde, à la mort du Soleil, c’est la danse, mais au sens du Zarathoustra de Nietzsche : « Je ne croirai qu’en un dieu qui saurait danser. » D’où le titre Sol Invictus. Pièce lumineuse, mais aussi gratuite, au sens « libéré » du terme.
Un besoin de la légèreté de Zarathoustra qui rappelle que « l’on ne tue pas par la colère, on tue par le rire. Allons, sus à l’esprit de pesanteur ! »… Pesanteur qui n’est autre que le diable. Or, cette intention de libération, à travers les portés lancés, les envols, les blessures et leurs pansements par la fraternité, et les filles, aujourd’hui qui s’approprient cette spirale ascendante, joue à plein.
Extraits de notes de réflexions de Bérengère Alfort,
Conseillère Artistique